Comment Al-Qaida tisse son réseau sur la Toile

Hoda Saliby Courrier international - 27 juil. 2005 La multiplication des attentats et la diversification des objectifs ciblés rendent de plus en plus insaisissables les filières du terrorisme islamiste multinational. Il s'avère indispensable de comprendre l'organisation qui le sous-tend et qui repose notamment sur les technologies du web.

Londres, Charm El-Cheikh : deux attentats attribués au terrorisme islamiste portant le label Al-Qaida viennent se rajouter à la longue liste des attaques qui ensanglantent de plus en plus de pays de la planète. "Les filières du terrorisme international obéissent-elles à un centre de commande regroupé ? Les cellules d'Al-Qaida sont-elles coordonnées dans leurs frappes aveugles ?" se demande Le Temps de Genève. Les spécialistes du terrorisme islamiste sont d'accord pour "écarter l'hypothèse d'une structure pyramidale qui centralise et coordonne les actions aux différents points du globe", poursuit le quotidien de Genève.

"Il est douteux que les explosions qui ont secoué le Royaume-Uni aient été coordonnées avec celles qui ont frappé Charm El-Cheikh. Les deux attaques doivent être perçues comme un flot de terreur qui a surgi à des moments rapprochés", enchaîne le quotidien israélien Ha'Aretz, sous la plume de son correspondant militaire Ze'ev Schiff.

De même, les attaques qui ont eu lieu le 7 et le 21 juillet à Londres n'auraient pas de lien entre elles. Selon Barthélemy Courmont, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris, qui s'exprime dans les pages du Temps, "il semble que l'attentat du 7 juillet ait été lié à la présence britannique en Irak. Dans ce sens, on peut faire un parallèle avec ce qui s'était passé à Madrid. Pour le second, il n'y a pas eu à ce jour de revendication crédible. Les armes utilisées dénotent un amateurisme réel. Peut-être a-t-on assisté à un phénomène d'imitation."

"La mort de certains chefs d'Al-Qaida a été une bénédiction pour l'organisation, qui a vu la naissance et la prolifération d'une quantité d'autres chefs, tous désireux de faire oublier les leaders charismatiques par des coups d'éclat d'envergure", ajoute le quotidien algérien L'Expression.

site du quotidien algérien "l'expression"

Ainsi, les méthodes se ressemblent, mais les auteurs, tout comme leurs objectifs, se diversifient. "La seule forme de coordination est idéologique. Elle concerne des groupes locaux galvanisés par les attaques ailleurs dans le monde", affirme, toujours dans les pages du Temps, Dominique Thomas, spécialiste français des mouvements islamistes. En effet, les attentats de Charm El-Cheikh ne visaient ni la coalition en Irak ni les Occidentaux. La cible de cet acte criminel était avant tout égyptienne. C'est en particulier un coup sévère pour le président Hosni Moubarak, qui s'apprête à tenir en septembre prochain des "élections libres".

Le lien entre tous ces attentats est "une idéologie commune, le courant salafiste djihadiste, et une mouvance qui tient par les cyberidéologues", poursuit Dominique Thomas. Les contacts entre organisations fleurissent sur la Toile, via les chat-rooms notamment. Autre exemple, les communiqués de bénédiction échangés entre le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, qui a fait allégeance à Al-Qaida, et Al-Qaida en Irak. Ainsi, le chef terroriste Al-Zarqaoui a adressé ses félicitations pour l'attaque d'un poste de l'armée en Mauritanie.

Internet serait devenu la base des liens entre les différents groupes locaux qui "recherchent ensuite la sensation de faire partie d'une mouvance d'envergure internationale et se réclament d'Al-Qaida". D'autant plus que l'affiliation à cette nébuleuse terroriste permet à des groupuscules de prétendre à une visibilité internationale.

L'invasion de l'Irak donne une nouvelle impulsion aux agissements terroristes. "Les messages, les prêches, les communiqués et les enregistrements vidéo se multiplient. Les sites Internet djihadistes affiliés ou proches d'Al-Qaida prolifèrent sur la Toile. On en compte près de deux cents, accessibles à tous et rédigés dans les principales langues du monde. L'idéologie millénariste du groupe trouve le ton juste, l'argument concret et la détresse des musulmans pour passer d'un stade théologique à un autre politique, réel et convaincant", enchaîne L'Expression. Les messages e-mails codés et les logiciels de brouillage sont largement mis à profit.

"Les services de renseignements britanniques ou la National Security Agency (NSA) aux Etats-Unis sont incapables de casser les codes et de lire ces e-mails. En Grande-Bretagne, moins de 5 % des communications d'Al-Qaida sont interceptées. Le réseau de communication du groupe reste intact et opérationnel", poursuit le quotidien algérien en citant l'universitaire sri-lankais Rohan Kumar Gunaratna, l'un des meilleurs spécialistes d'Al-Qaida.

Mais, d'un autre côté, ce terrorisme multinational qui frappe aveuglément gagne en notoriété grâce à la réaction des pays frappés, souligne Barthélemy Courmont. "Le grand danger pour Hosni Moubarak, ce serait d'admettre qu'il est confronté à un réel problème interne, et non à une organisation mondiale nommée Al-Qaida. Les pays [musulmans] touchés au premier chef par le terrorisme - l'Egypte, la Turquie, l'Indonésie, le Maroc, la Tunisie et l'Arabie Saoudite - sont en fait exposés à des problèmes internes. Mais ils n'ont aucun intérêt à admettre qu'ils ne sont pas capables de lutter contre l'émergence de groupes terroristes qui ne font que se réclamer d'Al-Qaida chez eux. Les Etats-Unis ont fait la même chose avec les lettres à l'anthrax. Ils les ont attribuées d'abord à une action extérieure, voire islamiste. Or il semble bien qu'il s'agissait plutôt d'un problème interne aux Etats-Unis."

Abdel Rahman Al-Rached, l'un des plus célèbres éditorialistes de la presse arabe, estime, pour sa part, dans sa chronique du quotidien Asharq Al-Awsat, que "l'explication du concept d'Al-Qaida et de son fonctionnement nous a été donnée par Oussama Ben Laden lui-même". En effet, dans ses interventions, "Ben Laden a clairement reconnu que l'endoctrinement idéologique est la clé de l'organisation d'Al-Qaida. C'est ainsi que des jeunes gens courageux se déclarent prêts à mourir en accomplissant un acte lâche. La haine, le désir de vengeance et la volonté de mourir en martyr avec la conviction que tuer est un acte de djihad, ce sont là les liens entre les multiples attentats terroristes."